Marc Márquez contre Francesco Bagnaia : une rivalité qui tourne à la démonstration
Si cette rivalité en MotoGP se déroulait sur un ring de boxe, l’arbitre aurait peut-être déjà interrompu le combat. Ce qui devait être une lutte acharnée tout au long de la saison entre deux des meilleurs pilotes du monde — Marc Márquez et Francesco « Pecco » Bagnaia — ressemble par moments davantage à une démonstration technique d’un côté et à une opération de rattrapage de l’autre.
La promesse d’un duel haletant pour le championnat reste intacte, mais la réalité prend une autre tournure. Alors que la saison 2025 approche de sa mi-parcours, c’est Bagnaia qui exécute son plan de course avec une précision chirurgicale, tandis que Márquez, bien que rapide et spectaculaire, peine encore à maintenir une performance constante sur l’ensemble des courses.
Le décor est planté : un choc des générations
Lorsque Marc Márquez a quitté Honda pour rejoindre Ducati fin 2024, le paddock MotoGP a tremblé. Sextuple champion du monde de la catégorie reine, Márquez cherchait à se relancer après des années marquées par des blessures et une moto peu compétitive. En intégrant l’équipe Gresini et en prenant le guidon de la redoutable Desmosedici GP23, les espoirs étaient immenses.
En face, Francesco Bagnaia représentait le champion en titre, le pilote phare de l’équipe officielle Ducati. Son style fluide, sa sérénité en piste et sa maîtrise tactique lui avaient déjà permis de décrocher deux titres mondiaux. L’histoire de la saison 2025 semblait toute écrite : le roi déchu en quête de rédemption contre le souverain en place, prêt à défendre sa couronne.
Pourtant, à mesure que les courses s’enchaînent, le duel attendu vire à sens unique.
Les chiffres parlent : une rivalité déséquilibrée
Après 12 manches, la forme de Marc Márquez est flamboyante, mais c’est la régularité de Bagnaia qui pèse le plus lourd. Márquez impressionne par ses pole positions spectaculaires et ses victoires éclatantes, mais Bagnaia accumule les points avec sang-froid et constance.
Mugello (Grand Prix d’Italie – 22 juin)
Le GP d’Italie a été un tournant majeur. Márquez y a décroché sa 100e pole position en carrière avec un chrono de 1:44.169, devançant Bagnaia de 0,059 seconde. Il a ensuite transformé cette pole en victoire lors de la course sprint du samedi, avant de dominer également la course principale du dimanche. Ce fut une bataille intense entre Marc, son frère Álex et Bagnaia. Mais Pecco a rencontré des soucis d’adhérence à l’avant en milieu de course, terminant finalement quatrième. Marc s’est imposé avec près de deux secondes d’avance sur Álex.
Bagnaia, déçu, a confié : « J’ai commencé à avoir des problèmes avec le pneu avant, et à partir de là, je ne pouvais plus attaquer. C’est frustrant, surtout ici, devant nos fans. »
Assen (TT des Pays-Bas – 27 juin)
Aux Pays-Bas, Márquez a subi deux grosses chutes durant les essais, se blessant au poignet. Malgré cela, il est parvenu à dominer une séance avec 0,3 seconde d’avance. Une performance qui force le respect, mais qui montre aussi à quel point il flirte avec les limites. À ce moment-là, il menait le championnat avec 270 points, devant Álex Márquez (230 pts) et Bagnaia (160 pts).
COTA (Grand Prix des Amériques – 30 mars)
Au Texas, Márquez semblait en route vers une nouvelle démonstration, après avoir remporté la course sprint et creusé un écart confortable dans la course principale. Mais une chute au 9e tour a offert la victoire à Bagnaia, qui en a profité pour engranger 25 points précieux. Un des rares week-ends où Pecco a réellement surpassé Marc.
GP de Thaïlande
Domination complète de Márquez lors des qualifications et de la course. Álex a terminé deuxième (+1,73s), Bagnaia troisième (+2,40s). Le meilleur tour de Marc a été enregistré au 4e tour en 1:30.637 — preuve que même dans les moments difficiles, sa vitesse reste redoutable.
Aragón et Argentine
Marc a poursuivi sur sa lancée en s’imposant aussi en Argentine et à Aragón. Dans le premier cas, il a mené de bout en bout, et dans le second, il a résisté à une attaque tardive d’Álex. Bagnaia, lui, est resté en retrait, manquant de constance sur le podium. À Aragón, il a terminé quatrième, à plus de deux secondes de Márquez.
Brillance contre constance
La vitesse pure de Márquez est incontestable. Il a décroché quatre pole positions, quatre victoires en sprint et trois en course principale sur la première moitié de saison. Il a été le plus rapide lors de 22 des 28 séances disputées — un exploit remarquable compte tenu de son changement d’équipe et de machine. Mais derrière ces chiffres impressionnants se cachent des failles : de nombreuses chutes, dont deux à Assen, l’ont privé de points cruciaux.
À l’inverse, Bagnaia joue la carte de la régularité. Moins spectaculaire, il a évité les grosses erreurs et su rester dans le top 5 même lorsque sa moto ne lui permettait pas de lutter pour la victoire. Cette approche méthodique porte ses fruits, surtout quand Márquez trébuche.
Après la course sprint de Silverstone, Bagnaia déclarait : « C’était comme si tout le monde me dépassait sans que je puisse répondre. Pour la première fois cette année, même Marc a ressenti ce que je vis depuis des mois. » Une déclaration honnête, entre frustration et soulagement.
L’arène mentale et émotionnelle
La piste est le champ de bataille visible. Mais en coulisses, dans les garages et dans les médias, se joue un combat tout aussi intense.
Bagnaia reste calme et concentré. Il parle rarement de rivalité, préférant mettre l’accent sur le travail d’équipe et le progrès personnel. « Marc fait des choses incroyables avec sa moto, » disait-il après le GP du Portugal. « Il pousse de 4 ou 5 degrés de plus en angle, et ça passe. C’est impressionnant, mais je dois me concentrer sur ma propre course. »
Márquez, de son côté, affiche parfois l’arrogance qui a fait sa légende. Après sa victoire à Mugello, il a parlé d’un « rêve devenu réalité » et salué son équipe pour sa réactivité. Mais la pression est visible. Les chutes à répétition, les douleurs au poignet : il pousse son corps et sa machine dans leurs derniers retranchements.
Et en dehors de la piste, la tension persiste. À Mugello, le public l’a hué — des relents de son intense rivalité passée avec Valentino Rossi. Le patron de Ducati, Davide Tardozzi, a appelé les fans au respect, mais la rancune reste tenace.
Bilan par manches
Début de saison (Qatar à Portugal) : Márquez démarre en trombe avec des sprints dominés et des victoires convaincantes. Bagnaia suit de près, sans pour autant le devancer.
Mi-saison (Austin à Thaïlande) : Bagnaia capitalise sur les erreurs de Márquez, notamment à Austin. Mais Marc répond avec autorité à Mugello et en Thaïlande.
Assen et au-delà : Les chutes à Assen ravivent les inquiétudes. Márquez reste ultra rapide, mais ses erreurs s’accumulent. Bagnaia reste dans l’ombre, discret mais menaçant.
Et maintenant : est-ce déjà joué ?
Avec 270 points contre 160, le classement donne l’illusion d’une course gagnée d’avance. Mais ce serait une erreur. Un seul abandon de Márquez, une casse mécanique, une chute — et Bagnaia pourrait tout relancer. Le calendrier 2025 réserve encore des circuits comme la Catalogne, la Finlande ou Valence, qui pourraient mieux convenir au style fluide de Pecco.
Par ailleurs, les dynamiques politiques internes à Ducati pourraient entrer en jeu. L’équipe officielle soutient toujours Bagnaia, tandis que Márquez roule pour Gresini. Si des consignes d’équipe apparaissent, le championnat pourrait se jouer en dehors des pistes.
Le mot de la fin
Ce que nous vivons n’est pas le duel frontal et explosif tant attendu. C’est plutôt une opposition de styles : un attaquant flamboyant et prêt à tout, face à un stratège imperturbable. Márquez émerveille par ses exploits, mais il joue gros à chaque course. Bagnaia avance lentement, prudemment, mais sûrement.
Si c’était de la boxe, l’arbitre aurait peut-être déjà levé les bras. Mais en MotoGP, la cloche finale sonne à Valence. Et dans un sport où tout peut basculer en une fraction de seconde, cette lutte pour le titre est encore loin d’être terminée.