Fabio Quartararo exprime de vives inquiétudes au sujet du moteur V4 de Yamaha après les essais de Misano
Le prototype V4 tant attendu de Yamaha a enfin fait sa première sortie publique lors des essais officiels de MotoGP à Misano lundi, mais les gros titres n’ont pas été marqués par l’enthousiasme ou l’optimisme. C’est plutôt le verdict franc et sévère de Fabio Quartararo qui a retenu l’attention. Le champion du monde MotoGP 2021, qui a porté Yamaha sur ses épaules durant certaines de ses années les plus difficiles, a admis qu’il avait trouvé peu de raisons d’être encouragé après ses premiers tours avec la nouvelle machine. Son expression et ses mots ont clairement montré que l’usine d’Iwata a encore un long chemin à parcourir si elle veut le convaincre de prolonger son contrat au-delà de 2026.
Premières impressions – et elles n’étaient pas positives
Quartararo avait déjà eu un premier contact avec le nouveau concept V4 lors d’essais privés à huis clos à Barcelone, un peu plus d’une semaine avant Misano. Mais Misano représentait la première occasion pour le public – et pour les rivaux de Yamaha – d’apercevoir la moto qui est décrite en interne comme une révolution pour la marque.
Cependant, au lieu de l’enthousiasme attendu, Quartararo est sorti du garage avec un visage fermé qui parlait de lui-même. Les journalistes sur place l’ont décrit comme ayant une « mine orageuse », et lorsqu’il s’est adressé à la presse, ses mots ont confirmé ce langage corporel.
« Pour le moment, je ne vois aucune amélioration dans le domaine où nous devons vraiment progresser », a admis Quartararo après ses relais. « Mais comme l’a dit l’équipe, il y a encore une marge, théoriquement. »
Le choix de ses mots était significatif. Quartararo, réputé pour son franc-parler, a clairement indiqué que les faiblesses fondamentales dont Yamaha souffre depuis plusieurs saisons – en particulier l’accélération et la vitesse de pointe – n’avaient pas encore été corrigées.
La nouvelle direction de Yamaha
Le projet de moteur V4 marque un virage radical pour Yamaha. Pendant des décennies, le constructeur japonais est resté fidèle au concept du quatre cylindres en ligne, alors que le reste de la grille MotoGP se tournait vers des configurations V4, offrant des avantages en termes de puissance et de compacité. Mais des années de déclin et les frustrations répétées exprimées par Quartararo et ses coéquipiers ont forcé Yamaha à changer de cap.
Les premiers tours de ce prototype ont déjà été scrutés attentivement. Yamaha a confié à Augusto Fernandez la tâche de faire débuter la moto en tant que wildcard au Grand Prix de Saint-Marin le week-end précédent. Le jeune Espagnol s’est qualifié 22ᵉ, mais il a montré quelques signes de potentiel. Il a roulé à moins d’une demi-seconde de Jack Miller, le meilleur pilote Yamaha sur la grille, et en course, il a fait mieux que les deux pilotes Honda LCR pour marquer quelques points.
Cependant, Fernandez a franchi la ligne avec plus d’une minute de retard sur le vainqueur Marc Márquez. Ce résultat a mis en évidence l’ampleur du défi auquel Yamaha fait face : il existe peut-être une base, mais elle est encore brute, non développée et loin d’être compétitive.
Lundi, c’était au tour de Quartararo de mettre la moto à l’épreuve lors d’une séance d’essais dédiée. Alors que Miller et Alex Rins se partageaient les tâches sur le deuxième prototype, le Français disposait de toute l’attention sur une machine – et sa déception est rapidement devenue le principal sujet d’actualité.
Une évaluation « accablante »
Le journaliste de MotoMatters, David Emmett, qui a suivi de près les essais, a décrit le retour de Quartararo comme « assez accablant ». Il a rappelé que Yamaha avait eux-mêmes qualifié la moto d’« âne » dès juillet dernier, même s’ils se félicitaient depuis des progrès réalisés en peu de temps.
Mais pour Quartararo, ces avancées restaient manifestement insuffisantes. Plus inquiétant encore que ses propos, selon Emmett, était son attitude. Devenu la voix interne la plus critique de Yamaha ces deux dernières saisons, sa frustration visible suggère qu’il perd patience.
La situation est d’autant plus délicate que le contrat de Quartararo arrive à expiration fin 2026. Le Français a été clair sur les conditions d’une prolongation : à moins que Yamaha ne lui fournisse une machine capable de se battre à nouveau pour des victoires et des titres, il envisagera d’autres options. Avec le constructeur japonais actuellement bon dernier du championnat constructeurs, la nécessité de démontrer des progrès tangibles est urgente.
La pression monte avant la Malaisie
Mat Oxley, de Motorsport Magazine, a apporté un éclairage supplémentaire en affirmant que Yamaha pourrait entrer dans une période de « très, très grande inquiétude » si aucun pas visible n’est franchi lors du prochain engagement en wildcard d’Augusto Fernandez en Malaisie. Selon lui, le dernier débriefing de Quartararo suffirait déjà à tirer la sonnette d’alarme à Iwata et au-delà.
Le défi de Yamaha est double : accélérer le développement d’un tout nouveau concept moteur et convaincre son pilote vedette que sa fidélité sera récompensée. L’essai de Misano, au lieu d’apaiser les inquiétudes, n’a fait qu’intensifier la pression.
Miller affiche une vision contrastée
Tout le monde n’a pas partagé le pessimisme de Quartararo. Jack Miller, qui a rejoint Yamaha cette année et s’est rapidement imposé comme une voix importante du projet, a adopté un ton beaucoup plus optimiste lorsqu’il a été interrogé sur le V4.
Pour Miller, le nouveau moteur est un travail encore en cours, mais c’est exactement ce à quoi il s’attendait. Il a décrit le prototype comme une « ébauche » du design final, mais a insisté sur le fait que Yamaha se situait « dans la bonne direction » à ce stade.
Cet optimisme contrastait fortement avec la frustration de Quartararo. Et même s’il n’efface pas les préoccupations du Français, il montre que tous les points de vue au sein du garage ne sont pas unanimes. Miller, moins marqué par les difficultés récentes de Yamaha, semble plus enclin à accepter les progrès pas à pas.
Néanmoins, ce sont bien les propos de Quartararo qui ont fait la une. Son statut de pilote numéro un de Yamaha, combiné à sa capacité à décrocher des podiums et des poles avec une moto largement considérée comme la plus lente de la grille, confère à ses paroles un poids indéniable.
L’importance de Quartararo pour Yamaha
Quartararo a encore démontré cette saison pourquoi il reste l’atout le plus précieux de Yamaha. Malgré les limites évidentes de sa machine, il a obtenu quatre poles et trois podiums – des résultats qui soulignent son talent et sa faculté à maximiser les moindres opportunités.
Cependant, ses standards élevés font aussi de lui le pilote le plus exigeant du constructeur. Il sait ce qu’il faut pour gagner des championnats et il refuse de transiger. Cette combinaison fait de lui à la fois la plus grande force et le plus grand défi de Yamaha.
Si Quartararo perdait confiance dans le projet et décidait de partir, Yamaha se retrouverait sans véritable prétendant au titre – un scénario qui pourrait plonger le constructeur dans une crise encore plus profonde.
Et après – le tour de Razgatlioglu
La prochaine étape significative du projet V4 de Yamaha aura lieu plus tard dans la saison, lorsque Toprak Razgatlioglu effectuera à son tour un test du prototype. La star turque, qui quittera Yamaha à la fin de l’année pour rejoindre Pramac en 2026, bénéficiera de la fin anticipée du calendrier WorldSBK pour s’impliquer.
L’apport de Razgatlioglu sera crucial. Connu pour son style agressif au freinage et son audace en course, il pourrait fournir à Yamaha un type de retour différent de celui donné par Quartararo ou Miller. Que ses impressions se rapprochent davantage du scepticisme de Quartararo ou de l’optimisme prudent de Miller pourrait influencer la suite du développement.
Un moment charnière
Pour Yamaha, les enjeux n’ont jamais été aussi élevés. Le passage au V4 constitue le pari technique le plus audacieux du constructeur depuis des décennies, et sa réussite ou son échec déterminera sa compétitivité pour les années à venir. Misano n’était que la première étape publique, mais les réactions suscitées illustrent déjà l’ampleur de la tâche.
La déception de Quartararo sonne comme un avertissement. Yamaha doit accélérer le développement, affiner son prototype et montrer des preuves concrètes d’amélioration avant la saison 2025. Dans le cas contraire, le risque est non seulement de continuer à perdre du terrain face aux rivaux, mais aussi de voir partir le pilote qui a été son pilier dans une période difficile.
Pour l’instant, le projet V4 reste une histoire de potentiel plutôt que de réalité. Le début prometteur mais limité de Fernandez, l’optimisme de Miller et le futur test de Razgatlioglu offrent quelques motifs d’espoir. Mais tant que l’expression orageuse de Quartararo ne sera pas remplacée par un sourire satisfait, Yamaha saura que sa mission reste inachevée – et que le temps presse pour convaincre son critique le plus important.