Marc Márquez justifié — Le pari controversé de Ducati porte ses fruits alors que l’Espagnol s’envole dans la course au titre 2025
Lorsque Ducati a décidé de débaucher Marc Márquez de l’équipe Gresini pour l’installer dans l’écurie officielle en 2025, la décision a secoué le paddock. Cette promotion rompait avec l’habitude récente de Ducati de faire progresser ses talents à travers ses équipes satellites et, surtout, elle s’est faite aux dépens de Jorge Martín — alors leader du championnat — qui a quitté la marque pour rejoindre Aprilia en tant que pilote officiel après avoir remporté le titre 2024. À l’époque, le choix avait suscité de vives critiques ; aujourd’hui, après le début de saison fulgurant de Márquez, rares sont ceux qui peuvent encore le contester sérieusement.
La controverse qui a tout déclenché
Le choix de Ducati de signer Márquez a fait la une pour deux raisons. D’abord, il a bousculé un système bien rodé qui avait permis au constructeur de former et promouvoir ses propres champions — Francesco Bagnaia en est l’exemple récent le plus parlant, passé par deux saisons chez Pramac avant de rejoindre l’équipe officielle et de remporter deux titres consécutifs en 2022 et 2023. Ensuite, cette décision a privé Jorge Martín d’une place que beaucoup pensaient lui être destinée et a surpris jusque dans l’entourage proche de l’affaire, y compris Enea Bastianini, le pilote remplacé par Márquez. Ce dernier avait publiquement reconnu avoir été pris de court par cette signature, un aveu qui reflétait la stupéfaction générale dans le paddock.
Une domination en piste
Au vu du premier tiers de la saison, le pari audacieux de Ducati a largement payé. Márquez est tout simplement intouchable : huit victoires lors des douze premières manches, dont cinq consécutives, et un avantage de 120 points au championnat. Ces chiffres — impressionnants en eux-mêmes — inscrivent déjà cette campagne parmi les plus dominantes de l’ère moderne du MotoGP. Sa régularité et sa capacité à exploiter au maximum la dernière Desmosedici ont réduit au silence la plupart des sceptiques initiaux.
Les voix du paddock : critiques, recul et concessions
Carlo Pernat, manager expérimenté qui représentait Bastianini à l’époque, a admis avoir critiqué publiquement la décision de Ducati. Ses objections étaient doubles : personnelles (la perte de la place de son pilote) et philosophiques (l’abandon par Ducati d’un modèle de développement sur le long terme). Il rappelait le bilan solide du constructeur dans la « formation » de champions en interne — des pilotes ayant mûri sous les couleurs satellites avant d’être promus en équipe officielle — comme le schéma que Ducati semblait abandonner.
Pernat n’a toutefois jamais accusé Ducati de malveillance. Au contraire, il reconnaît aujourd’hui que les résultats sur la piste sont incontestables : vu les performances de Márquez, il est « impossible » d’affirmer que ce choix était une erreur. Il rappelle aussi que Ducati a souvent offert des secondes chances — à Jack Miller, Andrea Dovizioso ou même Bastianini récemment — signe que les décisions de l’usine relèvent plus du pragmatisme que d’une idéologie stricte.
Enea Bastianini, bien qu’initialement surpris, admet lui aussi que la forme actuelle de Márquez a fait taire bien des critiques. D’autres observateurs restent moins indulgents, avançant que Ducati a peut-être agi aussi par stratégie défensive : éviter que Márquez ne rejoigne un constructeur rival où il aurait pu lutter pour le titre sur une machine non-Ducati.
La dynamique interne et l’impact sur le championnat
La composition de l’équipe officielle Ducati pour 2025 — Márquez aux côtés du champion en titre Francesco Bagnaia — devrait constituer une menace redoutable pour les rivaux, mais elle a introduit une complexité interne. Bagnaia, issu du parcours satellite et double champion du monde, rencontrerait des difficultés avec la Desmosedici version 2025. Au sein de l’équipe, une certaine frustration émerge face à son manque de confort sur la moto, et certains craignent que cela ne nuise durablement à son statut dans la structure officielle.
Les performances de Marco Bezzecchi — actuellement quatrième du championnat et en train de réduire l’écart — ajoutent encore de la complexité au récit. Certains estiment que Márquez aurait de toute façon pu jouer le titre même sans siège officiel Ducati, peut-être même sur une machine concurrente. La décision de Ducati apparaît donc à la fois comme un gain de performance immédiat et comme un coup stratégique pour retenir un talent générationnel.
Leadership technique et intelligence tactique
Dans le paddock, nombreux sont ceux qui attribuent le succès de Ducati au leadership de Luigi Dall’Igna. Johann Zarco, par exemple, affirme que Dall’Igna est la clé de cette ère de domination, et que Honda ou d’autres ne pourront revenir au sommet que lorsqu’ils réussiront à le surpasser dans ce domaine. Que ce soit un commentaire sur l’ingéniosité technique, la stratégie en course, ou les deux, l’idée met en lumière combien l’avantage de Ducati est perçu comme organisationnel plutôt que strictement lié à un seul pilote.
Cela dit, la contribution de Márquez ne saurait être minimisée : au-delà de sa vitesse pure, il a démontré une capacité à adapter la GP25 que d’autres n’ont pas eue. Statistiquement, Márquez compte plus de podiums que deux autres pilotes de GP25 réunis — Bagnaia et Fabio di Giannantonio — avec 10 contre 9, un chiffre révélateur de sa régularité et de son taux de conversion cette année.
Les implications pour Bagnaia et la place en équipe officielle
Pour Bagnaia, l’arrivée et l’ascension de Márquez représentent un défi délicat. Même s’il retrouve son meilleur niveau avec la moto 2026, certains craignent que les équilibres internes à Borgo Panigale aient changé de manière irréversible. Márquez comme Bagnaia sont sous contrat jusqu’à fin 2026, garantissant la continuité mais aussi un risque de tensions prolongées si les résultats et la confiance ne se rééquilibrent pas.
Ducati doit donc trouver le juste équilibre : maximiser les gains immédiats offerts par la forme actuelle de Márquez sans fragiliser le projet à long terme qui avait porté Bagnaia vers ses titres. La gestion du moral des pilotes, des priorités de développement technique et des perceptions de favoritisme seront autant de facteurs déterminants pour préserver la cohésion et, in fine, le succès au championnat.
Perspectives
Ce qui avait commencé comme une décision polémique s’est, jusqu’ici, justifié dans les termes les plus simples : victoires, podiums et avance écrasante au championnat. Le pari de Ducati — privilégier la puissance immédiate plutôt que la progression traditionnelle satellite-vers-officiel — a rapporté des dividendes qui rendent difficiles à maintenir les critiques initiales. Reste que le bilan définitif de cette manœuvre ne pourra être dressé qu’à plus long terme : comment Bagnaia réagira, si Márquez pourra maintenir ce niveau de domination, et si Ducati parviendra à préserver l’harmonie interne tout en restant au sommet de la discipline.
En résumé, le pari Márquez de Ducati est passé du statut de titre polémique à celui de succès pragmatique — mais il a aussi remodelé l’équilibre interne à Borgo Panigale, laissant en suspens des questions sur l’héritage, la philosophie de développement et la stabilité à long terme de l’équipe, qui se joueront sur les prochaines saisons des deux pilotes.