Michele Pirro analyse le casse-tête Ducati en MotoGP : l’impact immédiat de Marquez, les difficultés persistantes de Bagnaia et les perspectives à venir
Alors que le paddock du MotoGP fait une pause pour les traditionnelles vacances d’été, un homme ne s’est pas arrêté une seconde : Michele Pirro, pilote d’essai de confiance chez Ducati. Tandis que les pilotes d’élite profitent de quelques jours de repos bien mérité, Pirro poursuit inlassablement son travail de développement avec la DesmosediciGP. Son engagement se poursuit peu après un week-end difficile lors du CIV Racing Night du Championnat Italien Superbike — un épisode qu’il préfère vite oublier.
Avant de se rendre à Montmeló pour de nouvelles séances d’essais, Pirro s’est exprimé en toute franchise sur la situation actuelle de l’équipe officielle Ducati. Au sein du box, deux trajectoires diamétralement opposées se dessinent : l’adaptation fulgurante et la montée en puissance de Marc Márquez, face aux difficultés croissantes de Francesco Bagnaia, en quête de constance et de confiance.
Deux pilotes, deux mondes : l’adaptabilité de Marquez face à la frustration de Bagnaia
Pirro reconnaît volontiers que le MotoGP est un sport de hauts et de bas — certaines saisons se déroulent sans accroc, d’autres sont parsemées de défis persistants. Et cette année, ces contrastes sont visibles au cœur même du box Ducati.
D’un côté, Marc Márquez, octuple champion du monde, s’est intégré avec une aisance déconcertante dans l’environnement Ducati. Bien qu’il découvre une nouvelle moto et une nouvelle équipe, il affiche une compétitivité constante, prouvant sa capacité à se battre aux avant-postes dans pratiquement toutes les conditions.
« Marc a toujours été un talent extraordinaire », a déclaré Pirro. « Ce qui le distingue, c’est sa capacité d’adaptation immédiate — que ce soit à la moto, au circuit ou à la météo. Ce niveau d’adaptabilité a véritablement bouleversé la dynamique interne. Il a modifié la façon dont les choses fonctionnent autour de lui. »
Ce bouleversement, selon Pirro, aurait pu compliquer la tâche de Bagnaia. Le champion en titre, réputé pour avoir besoin de temps pour trouver son rythme, voit ses performances en berne, surtout face à l’ascension rapide de son coéquipier. Bagnaia a déjà traversé des périodes compliquées, mais la pression s’est intensifiée en 2025, car il peine à égaler la vitesse et la sérénité de Márquez.
« Pecco est un pilote qui a besoin de quelques courses pour vraiment se sentir à l’aise avec la moto », explique Pirro. « Mais lorsque votre coéquipier est quelqu’un comme Marc — qui ne se plaint jamais, qui semble imperméable aux difficultés — il devient plus difficile d’identifier ce qui ne va pas réellement. Il est compliqué de poser un diagnostic quand l’autre côté du box semble insensible aux problèmes. »
Pirro insiste sur le fait qu’aucun problème unique ou identifiable ne freine Bagnaia. Il s’agit plutôt d’un manque global de feeling avec la moto, ce fameux ressenti que les pilotes évoquent pour décrire le lien subtil avec leur machine. « Ce n’est pas une pièce ou un facteur mécanique précis qui est en cause », ajoute-t-il. « Tout est question de sensation — de la connexion entre le pilote et la moto. Cela peut dépendre de mille choses : les pneus, l’adhérence, la température, les suspensions, voire même l’état d’esprit. »
Reconstruire la confiance de Bagnaia : une mission collective
Malgré les difficultés actuelles, Pirro reste confiant quant à la capacité de Bagnaia à retrouver son niveau en seconde partie de saison — notamment grâce au soutien sans faille de toute l’équipe. Ducati reste déterminée à aider son double champion du monde à se relancer, en vue de poser les fondations d’une saison 2026 solide.
« L’objectif aujourd’hui est de créer les meilleures conditions possibles pour que Pecco termine bien la saison », déclare Pirro. « Car la moto de l’année prochaine sera basée sur le modèle actuel, avec des améliorations. S’il retrouve de bonnes sensations avant la fin de l’année, il sera dans une bien meilleure position pour démarrer 2026. »
Pirro précise que le développement de la moto ne concerne pas seulement la saison prochaine, mais s’étend déjà jusqu’en 2027. C’est ce qui rend la remise en confiance de Bagnaia encore plus cruciale : plus il retrouvera rapidement son niveau, plus ses retours seront précieux pour l’évolution de la Desmosedici.
Lorsqu’on lui demande ce que fait Ducati pour soutenir Bagnaia, Pirro ne mâche pas ses mots : « On essaie tout. On est revenus à d’anciens réglages, on a testé de nouvelles pièces, mais la vérité, c’est qu’il n’existe pas de solution miracle. Il n’y a pas une pièce magique à installer qui résoudra tout instantanément. »
Le temps est un autre facteur limitant. « On n’a pas toujours le luxe de tout tester comme on voudrait », poursuit Pirro. « En MotoGP, on est souvent obligés de valider des choses pendant les week-ends de course, et c’est extrêmement difficile. Cela ajoute de la pression et réduit la marge d’erreur. »
Malgré tout, il croit au processus. « On a déjà traversé des périodes compliquées — on sait comment travailler ensemble, ajuster ce qu’il faut et rebondir. C’est ce que l’on vise encore cette année. »
Des émotions partagées dans le box : entre fierté et frustration
Si Pirro se montre admiratif face au retour au sommet de Marc Márquez, il avoue aussi ressentir une forme de douleur en voyant Bagnaia en difficulté.
« Je suis sincèrement heureux pour Marc. Il prouve une fois de plus à quel point il est exceptionnel. Mais je ressens aussi beaucoup de compassion pour Pecco. C’est lui qui a ramené le titre chez Ducati. On a construit tant de choses ensemble. Le voir dans cette mauvaise passe me touche personnellement. »
Le pilote essayeur admet que, parfois, même les efforts les plus intenses ne suffisent pas. « On met tout ce qu’on a dans cette situation. Mais parfois, les choses ne s’emboîtent pas — peu importe combien on travaille. »
Il ajoute que, malgré les tensions internes, Ducati reste dans une position globalement forte. « On a la meilleure équipe — un véritable “dream team”. Cela implique de grandes attentes, mais aussi un potentiel incroyable. »
Les irrégularités de Di Giannantonio illustrent les marges infimes du MotoGP
Pirro a également évoqué les performances de Fabio Di Giannantonio, un autre pilote Ducati qui alterne entre éclats et contre-performances au guidon de la GP25 — une moto pourtant très proche de celle qui a remporté le titre l’an passé.
« Lors d’une course, Diggia joue le podium. La suivante, il est à peine dans le top 10. Et pourtant, la moto n’a pas changé — c’est exactement la même. Cela montre à quel point les marges sont minimes à ce niveau », observe Pirro.
Il précise qu’une différence de quelques dixièmes de seconde peut complètement transformer le classement et la perception d’un pilote. « Ce n’est pas une question de savoir si la moto fonctionne. C’est une question d’alignement de tous les paramètres dans un temps limité — le réglage, l’adhérence, le feeling du pilote, la position sur la grille… »
Selon Pirro, le format actuel du MotoGP — avec des séances raccourcies et des courses sprint — impose une adaptabilité extrême. « Et c’est là que Marc excelle », affirme-t-il. « Il peut assimiler de nouvelles conditions, s’adapter instantanément, et performer au plus haut niveau. »
Balaton Park : un joker technique pour le MotoGP
En se projetant vers l’avenir, l’arrivée du MotoGP à Balaton Park, en Hongrie, suscite des inquiétudes — surtout après un accident spectaculaire impliquant plusieurs pilotes lors de la course 1 du World Superbike sur ce même circuit. Avec sa configuration étroite et ses virages serrés, le tracé pourrait poser problème aux machines puissantes et aérodynamiquement complexes du MotoGP.
« C’est clairement un circuit technique — très resserré, surtout dans le premier secteur », note Pirro. « Si les pilotes attaquent trop fort au départ, ça pourrait vite devenir chaotique. »
Cependant, il se montre optimiste quant à la capacité du peloton à tirer les leçons du WorldSBK. « Lors de la course 2 et de la Superpole Race, les pilotes ont été plus prudents, et tout s’est bien passé. C’est ce genre de maturité qu’il faudra voir en MotoGP. »
Son message est clair : « On ne gagne pas une course au premier virage. Et on ne la termine pas non plus là. Patience et intelligence seront la clé. »
Conclusion : Ducati en équilibre entre éclat et reconstruction
Les réflexions de Michele Pirro offrent un regard rare et précieux sur l’envers du décor chez Ducati, une équipe en pleine tension entre le succès et la difficulté. Alors que le retour flamboyant de Marc Márquez constitue l’un des faits marquants de la saison 2025, les difficultés continues de Francesco Bagnaia représentent l’une de ses grandes énigmes. Dans un garage où un pilote progresse à vitesse grand V et l’autre tente de raccrocher le wagon, le véritable défi réside dans l’équilibre — soutenir les deux, maintenir la performance, et anticiper l’avenir.
Les propos de Pirro mettent en lumière la complexité du très haut niveau en sport mécanique. Il n’existe ni solution miracle, ni recette universelle du succès. Seules la persévérance, la cohésion d’équipe et la foi dans une vision à long terme permettent d’avancer — ce que Ducati continue à poursuivre, tour après tour, course après course.